(1) La familiarité de Jésus
1. Saint Jean-Baptiste était séparé du monde. C’était un Nazarite.1 II était sorti du monde, et s’étant dressé contre lui, il l’appelait au repentir. Alors tout Jérusalem allait vers lui dans le désert. Mais dans ses enseignements il parlait de Quelqu’un qui irait vers eux et qui leur parlerait d’une manière toute différente. Il ne se séparerait pas d’eux, il ne se montrerait pas comme un être supérieur, mais comme leur frère, issu de leur chair et de leurs os, comme un des leurs, vivant parmi eux ; que dis-je : il était déjà parmi eux. Médius vestrum stetit, quem vos nescitis – « Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas. » Ce quelqu’un de plus grand que lui s’appelait le Fils de l’Homme. Il avait toutes les apparences d’un homme ordinaire, quoiqu’il fût le Très-Haut. Saint Jean et les autres évangélistes, bien que fort différents les uns des autres dans le portrait qu’ils tracent de lui, sont sur ce point remarquablement d’accord. Le Baptiste dit : «Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas. » Ensuite Jean nous montre Jésus s’adressant non pas à des foules mais à deux de ses propres disciples. Ces deux disciples cherchent Jésus, qui leur permet de le suivre. Jésus commence enfin à se révéler et à manifester sa gloire par des miracles ; mais où ? A des noces, c’est-à-dire en un lieu où régnent l’excès et l’abondance, comme le mot architriclinus l’implique. Et comment ? En ajoutant du vin, souvent l’instrument de l’excès, quand il se produit. Il assistait à ces noces non pas comme un maître, mais comme un invité et pour ainsi dire d’une manière toute mondaine, car il était avec sa Mère. Maintenant, comparez cette scène de noces avec ce qu’il dit de lui-même dans l’évangile de saint Matthieu : « Jean est venu qui ne buvait ni ne mangeait – Le Fils de l’Homme est venu mangeant et buvant ; et ils disent: « C’est un glouton et un buveur de vin. » » Jean pouvait être haï, mais il était respecté ; Jésus, lui, était méprisé. Voyez aussi Marc (1, 22, 27, 37 ; 3, 21), où Jésus nous est montré comme une pierre de scandale et d’achoppement, suscitant autour de lui indignation et stupéfaction. L’objection est immédiatement formulée (Marc 2, 16) (« Les scribes et les pharisiens le voyant manger avec des publicains et des gens de mauvaise vie »). Pour que deux évangélistes aussi indépendants l’un de l’autre dans leur récit relèvent ce fait, sans doute fallait-il qu’il constituât un trait essentiel du caractère et de la mission de Notre Seigneur. Le prophète avait dit la même chose (Isaïe 53).
2. C’était, Seigneur, parce que tu aimes tellement cette nature humaine que tu as créée. Tu ne nous aimes pas simplement comme tes créatures, l’œuvre de tes mains, mais comme des hommes. Tu aimes tout, car tu as tout créé ; mais tu préfères l’homme à tout. Comment, Seigneur, une telle chose est-elle possible ? Qu’y a-t-il en l’homme qui te le rende plus cher que toutes les autres créatures ? Quid est homo, quod memor es ejus ? et nusquam Angelos apprehendit – « Qu’est-ce que l’homme pour que tu prennes souci de lui ? Il n’atteint pourtant en rien l’excellence des anges. » Qui peut sonder la profondeur de tes conseils et de tes décrets ? Tu as aimé l’homme plus que tu n’as aimé les anges ; et donc, de même que tu n’as pas pris sur toi une nature angélique lorsque tu t’es manifesté pour notre salut, tu es venu comme un homme ordinaire, non comme un prêtre, un moine, ou un ermite, mais dans la parfaite plénitude de cette nature humaine que tu aimes tant. Tu es venu non seulement comme un homme parfait, mais comme un homme véritable ; non pas comme une créature nouvellement tirée de terre, ni avec le corps spirituel qui est désormais le tien, mais dans cette chair même qu’avait revêtue Adam, et avec toutes nos infirmités, tous nos sentiments, toutes nos sympathies, le péché excepté.
3. O Jésus, c’est ainsi qu’il te plut, toi, le grand Dieu, d’accomplir avec largesse ton œuvre, celle pour laquelle le Père t’avait envoyé. Tu n’as pas fait les choses à demi – et tandis que cette magnificence de Sacrifice est ta gloire en tant que Dieu, elle est notre secours et notre consolation en tant que pécheurs. O très cher Seigneur, tu es plus pleinement homme que saint Jean-Baptiste, que saint Jean, l’apôtre et évangéliste, que ta très douce Mère. Tu les dépasses dans la connaissance divine que tu as de moi, de même que dans la connaissance et l’expérience que tu as de ma nature. Tu es mon frère aîné. Que craindrais-je ? Comment ne me reposerais-je pas sur toi, si doux, si tendre, si familier, si simple, si modeste, si naturel, si humble ? Tu es au ciel, mais exactement le même que celui que tu étais sur terre : le Dieu puissant, mais aussi le petit enfant – le Très-Saint, mais aussi l’être sensible, tendre, humain.
(John Henry Newman, Méditations sur la Doctrine Chrétienne, Ad Solem 2000, pp. 83-86)