21 décembre 1834
«Thomas, parce que tu as vu, tu as cru ; heureux ceux qui croient sans voir » (Jn 20,29).
Saint Thomas est l’apôtre qui douta de la résurrection de notre Seigneur. Ce manque de foi l’a doté dans l’esprit de la plupart des gens d’un trait de caractère auquel se réfère la collecte du jour. Cependant, il ne faut pas croire que saint Thomas soit bien différent des autres apôtres. Tous, plus ou moins, ont douté des promesses du Christ lorsqu’ils le virent être emmené pour être Crucifié. Quand il fut enseveli, leurs espoirs furent ensevelis avec lui ; et quand la nouvelle leur parvint qu’il était ressuscité, aucun n’y crut. Quand il leur apparut, il « blâma leur incrédulité et leur dureté de cœur (Mc 16, 14) ». Mais comme à ce moment Thomas n’était pas là, et que c’est par ses condisciples qu’il apprit qu’ils avaient vu le Seigneur, il resta plus longtemps qu’eux dans la perplexité et les ténèbres. À la nouvelle de ce grand miracle, il exprima sa résolution de ne pas croire à moins de voir lui-même le Christ et de pouvoir le toucher. Ainsi Thomas, par une circonstance apparemment fortuite, a-t-il été singularisé parmi ses frères (qui, eux aussi, avaient commencé par être incrédules) comme étant un exemple particulier d’incrédulité. Aucun d’entre eux ne crut avant d’avoir vu le Christ, sauf saint Jean qui, lui-même, commença par hésiter. Thomas fut le dernier à être convaincu parce qu’il fut le dernier à voir le Christ. D’autre part, bien qu’il ait tout d’abord douté de la nouvelle de la résurrection du Christ, il est certain qu’il ne manquait nullement de ferveur et de dévouement à l’égard de son maître, ainsi qu’on le voit dans une circonstance antérieure lorsqu’il exprima le désir de partager le danger que celui-ci allait courir, et de souffrir avec lui. En effet, lorsque le Christ résolut de partir pour la Judée afin de ressusciter Lazare des morts, les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment encore les Juifs voulaient te lapider, et tu retournes là-bas (Jn 11, 8)? » Comme il persistait dans son intention, Thomas dit aux autres : « Allons-y, nous aussi, et nous mourrons avec lui ! » Ce voyage, comme le pressentaient ses apôtres, aboutit à la mort du Seigneur ; eux-mêmes échappèrent à la mort, mais ce fut à la demande de Thomas qu’ils risquèrent leur vie.
Saint Thomas aimait donc son maître et, en bon apôtre, le servait fidèlement. Mais quand il le vit crucifié, sa foi lui fit un moment défaut, comme ce fut le cas des autres. Cependant on ne peut nier que son incrédulité au sujet de la Résurrection n’était pas due uniquement aux circonstances, mais qu’elle résultait, dans une certaine mesure, de quelque défaut dans son état d’esprit. Le récit même de saint Jean et les paroles de notre Sauveur à Thomas donnent l’impression que celui-ci était plus à blâmer que les autres. Le fait de s’opposer, non pas à un seul témoignage, mais à ceux de ses dix condisciples, de Marie Madeleine et des autres femmes, le montre clairement, ainsi que ses paroles saisissantes : « Si je ne vois à ses mains la marque des clous, si je ne mets le doigt dans la marque des clous, et si je ne mets la main dans son côté, je ne croirai pas (Jn 20, 25). » De plus, on peut noter que, malgré le peu qu’on sache de saint Thomas, la seule parole de lui rapportée avant la Crucifixion indique déjà cette même perplexité pleine de doutes. Quand le Christ dit qu’il allait partir chez son père, et qu’ils en connaissaient tous le chemin, Thomas s’interposa : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin (Jn 14, 5) ? », c’est-à-dire, nous ne voyons pas le ciel, ni le Dieu du ciel, comment pouvons-nous en savoir le chemin ? Il semble que Thomas ait vivement éprouvé le besoin d’un aperçu sensible du monde invisible, de quelque signe infaillible venu du ciel – une échelle d’anges comme celle de Jacob – qui aurait dissipé son anxiété en lui montrant le terme du voyage au moment du départ. Quelque secret désir de certitude dut le saisir. Et un désir semblable l’envahit de nouveau à la nouvelle de la résurrection du Christ. Sa foi manquant de fermeté, il suspendit son jugement et résolut de ne rien croire tant que tout ne lui serait révélé. Ainsi lorsque notre Sauveur lui apparut huit jours après être apparu aux autres, et qu’il exauça le désir de Thomas en lui faisant percevoir avec ses sens qu’il était vraiment vivant, il accompagna cette permission d’une remontrance et lui fit comprendre qu’en cédant à sa faiblesse, il lui retirait ce qui aurait pu être pour lui une béatitude. « « Porte ton doigt ici : voici mes mains, avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois plus incrédule mais croyant. » Thomas lui répondit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu me vois, tu crois ; heureux ceux qui croiront sans avoir vu (Jn 20, 27-29) ». »
Mais après tout, ce n’est pas tant la disposition d’esprit du bienheureux apôtre dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire qui nous intéresse que la circonstance particulière où il figure et le commentaire qu’en a fait notre Sauveur. Tous ses disciples l’ont servi – parfois par l’occasion qu’ils lui donnaient de prononcer des paroles inspirées. Ils l’ont servi jusque par leurs faiblesses qui sont mises en lumière par l’Écriture – et non pas voilées, comme le feraient par piété des amis chrétiens -, ceci afin qu’il puisse en faire des moyens d’instruction et de consolation pour son Eglise. Ainsi le souci exagéré de Marthe pour les devoirs domestiques avait suscité son appel à une vie de contemplation et de prière ; et de même dans la situation considérée présentement, la trop grande prudence de saint Thomas nous vaut sa promesse d’une bénédiction spéciale pour ceux qui croient sans avoir vu. Je me propose maintenant de faire quelques remarques sur la nature de cette disposition à croire et de noter en quoi elle est bienheureuse.
Inutile d’observer que ce que notre Sauveur déclare à Thomas de façon si claire et saisissante est plus ou moins impliqué tout au long de son ministère, à savoir que celui dont l’esprit est disposé à croire est bienheureux. Ainsi il exige et éprouve la foi de ceux qui ont recours à son aide miraculeuse ; il loue cette foi quand il la trouve ; quand elle fait défaut, il le déplore; il prévient contre l’endurcissement des cœurs : « En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé pareille foi en Israël. » « Confiance ma fille, ta foi t’a sauvée (Mt 8, 10 ; 9, 22). » « Ta foi t’a sauvée ; va en paix (Lc 7, 50). » « Génération mauvaise et adultère ! elle réclame un signe (Mt 12, 39). » « Esprits sans intelligence, lents à croire tout ce qu’ont annoncé les Prophètes (Lc 24, 25) ! » Ces passages nous en rappelleront une multitude d’autres analogues qui louent spécialement la foi. Saint Paul suit dans sa doctrine la voie ouverte ainsi par son Seigneur. Dans trois épîtres, il nous montre que la foi tient, parmi les signes distinctifs d’un esprit religieux, une place singulière ; et chaque fois il se réfère à un passage des prophètes pour faire voir qu’il n’introduit aucune doctrine, mais ne fait qu’enseigner ce qui a été promulgué depuis les premiers temps. C’est pourquoi l’on dit communément que la religion est bâtie sur la foi et non sur la raison ; d’autre part, les gens qui se moquent de la religion nous opposent justement cette doctrine, comme si le fait de la professer supposait quasiment admettre que le christianisme n’est pas fondé sur la vérité. Voyons donc ce qu’il en est.
Tout esprit religieux, dans quelque circonstance que la Providence l’ait placé, sera porté à regarder hors et au-delà de lui-même pour ce qui se rapporte à son plus grand bien. Car l’homme dont l’esprit est religieux est attentif à la loi de sa conscience, laquelle est née en même temps que lui, non pas faite par lui-même, et à laquelle il se sent tenu de se soumettre. Et cette conscience dirige aussitôt sa pensée vers un Etre extérieur à lui, qui la lui a donnée et qui évidemment lui est supérieur ; car une loi suppose un législateur et un commandement suppose un supérieur. Ainsi l’homme est-il aussitôt jeté hors de lui-même par cette voix intérieure ; et tandis qu’il règle sa conduite par son propre sens du bien et du mal, non par les maximes du monde extérieur, ce sens intérieur ne lui permet pas de demeurer en lui-même, mais le pousse à sortir pour chercher Celui qui a déposé en lui sa parole. Il scrute le monde pour trouver Celui qui n’est pas du monde, pour trouver, sous les ombres et les illusions de la scène changeante du temps et des sens, Celui dont la parole est éternelle et la présence spirituelle. Il cherche hors de lui-même la Parole vivante à laquelle il peut attribuer ce à quoi son cœur a fait écho ; étant certain qu’elle se trouve quelque part, il est d’avance prêt à la trouver, et d’ailleurs il lui arrive souvent de se tromper en croyant qu’il l’a trouvée. Il s’ensuit que si la vérité n’est pas à portée de sa main, il peut facilement prendre l’erreur pour la vérité et considérer comme présence et action de Dieu ce qui ne l’est pas ; et trouvant tout préférable au scepticisme, il devient superstitieux, ce qui lui est parfois imputé à faute. On peut penser que c’est le cas pour ceux de l’élite d’un pays païen. Il ne leur est pas accordé les vrais signes de la puissance et de la volonté de Dieu que nous avons le privilège de posséder. Ils se mettent alors à inventer ce qu’ils ne peuvent trouver, et ayant la conscience plus fine que l’intelligence, ils pervertissent ces signes de Dieu que leur procure la nature et en font un mauvais emploi. Telle est une des origines des fausses divinités des cultes païens qui sont des marques de la culpabilité de leurs adorateurs – non pas, nous l’espérons, quand ils ne sauraient faire autrement, mais quand ils se sont détournés de la lumière, ne désirant pas « retenir Dieu dans leur conscience ». Mais si telle est la voie suivie par un esprit religieux quand il n’a pas eu le bonheur de connaître la vérité divine, il se remettra d’autant plus joyeusement dans la main de Dieu s’il lui est donné de l’apercevoir dans l’Évangile. Telle est la foi qui existe chez la multitude des croyants, née de leur sens de la présence de Dieu, affirmée à l’origine par la voix intérieure de leur conscience.
D’un autre côté, les personnes qui préfèrent suivre ce monde plutôt que les directives que leur donne, en leur for intérieur, l’Esprit de Dieu, perdent bientôt la perception de ces dernières et s’appuient sur ce monde comme sur un dieu. N’ayant nul pressentiment d’un guide invisible qui doive être suivi en matière de conduite, ils considèrent que rien n’a de substance sinon ce que perçoivent leurs sens ; ils s’en contentent et en tirent leur ligne de conduite. Eux ne sont certes pas en danger de tomber dans la superstition ou la crédulité. Car ils ne ressentent d’avance aucun désir, ni aucune conviction que Dieu ait accompli dans le monde une révélation de lui-même. Et lorsqu’ils entendent parler d’événements surnaturels, ils se mettent à les examiner tranquillement, sans passion, comme s’ils étaient des juges dans un tribunal ou comme s’ils faisaient une recherche d’ordre scientifique. Ils reconnaissent qu’ils ne portent pas d’intérêt spécial à la question qui leur est proposée ; et sans effort, ils y appliquent leur intellect impassiblement, comme si celui-ci était un instrument externe qui ne saurait être influencé. Nous avons donc devant nous deux types d’esprit opposés, l’un crédule, comme dirait communément le monde, l’autre sincère et sans préjugé, jugeant avec droiture et sagacité ; il est clair que le premier est de type religieux et que le second ne l’est pas. Donc, dans ce sens en tout cas, la foi et la raison s’opposent, et le croyant est plus digne de bénédiction que l’incrédule.
Mais cela n’est pas tout. Celui qui s’efforce d’accomplir la volonté de Dieu est sûr de découvrir bientôt son incapacité à le faire parfaitement. Il se sentira plein d’imperfections et de péchés ; et mieux il réussit à dompter son cœur, plus il y découvre de malignité originelle et de culpabilité. C’est une raison de plus pour un homme d’esprit religieux de sortir de lui-même et de chercher ailleurs. Il connaît sa nature mauvaise et craint en conséquence la colère de Dieu ; quand il regarde autour de lui, il voit le reflet de ce mal intérieur répandu sur la face du monde. Il a peur, et cherche quelque moyen de se concilier son Créateur, un signe, s’il en existe, que Dieu se laisse fléchir. Il ne peut demeurer chez lui ni se reposer en lui-même, et se met à errer anxieusement alentour ; il a besoin de quelqu’un qui apaise son âme. Qu’un homme vienne à lui et lui déclare qu’il est un messager du ciel, le voilà aussitôt à l’écoute. Cette déclaration peut être vraie ou fausse, son vœu le plus cher est qu’elle soit vraie. Au contraire, ceux qui sont dépourvus de sens du péché entendent sans tressaillir la nouvelle que Dieu a parlé à l’homme. Ils attendent patiemment que l’ensemble des témoignages leur soit présenté, puis le reçoivent ou le refusent selon ce que leur dicte la raison.
Allons plus loin, et supposons deux personnes, fermes dans leurs convictions, ne se laissant pas facilement émouvoir, et également douées d’un jugement sain et prudent. Nous allons voir maintenant une raison supplémentaire pour que l’esprit religieux exerce plus sa foi et moins sa raison que l’esprit irréligieux, s’il est vrai que la mise en pratique d’une parole reçue donne la mesure de la foi qui lui est accordée, ainsi qu’en jugerait le simple bon sens. Car en toute chose aussi importante et vitale que la santé de l’âme, un homme sage n’attendra pas pour agir d’avoir les témoignages complets dans tous leurs détails ; il montrera sa prudence, non en ne se laissant pas influencer par l’attestation d’un message divin, mais au contraire en lui obéissant, en dépit du fait qu’il pourrait être plus clairement attesté. S’il est assez improbable que le refus de recevoir l’Évangile entraîne la perdition éternelle d’un homme, il est néanmoins plus sûr et plus sage d’agir comme si cela était certain. D’autre part, quand on ne fait pas du christianisme une affaire personnelle, mais simplement un sujet de recherche philosophique ou historique, on se sentira libre – à juste titre, selon ses propres valeurs – de critiquer les témoignages. Lorsque nous enquêtons sur un point d’histoire, ou que nous examinons une opinion scientifique, nous exigeons effectivement un témoignage décisif, et trouvons naturel d’attendre, indécis, jusqu’à ce que nous l’ayons obtenu ; en un mot, nous sommes sceptiques. Si la religion n’est pas faite pour être mise en pratique, nous avons raison, du point de vue philosophique, d’être des sceptiques. Certes un témoignage plus probant et plus complet pourrait nous être donné ; et après tout, un grand nombre de questions concernant les lois de la nature, la constitution de l’esprit humain, et d’autres, doivent être résolues pour que nous soyons pleinement satisfaits. Et ceux dont le cœur n’a pas été « touché », comme dit l’Écriture (2 R 22, 19) – c’est-à-dire qui ne perçoivent pas vivement la voix divine en eux-mêmes, ni la nécessité de l’existence de Celui dont procède cette voix -, ceux-là ne sentent pas que le christianisme doit être vécu en pratique et passent donc à côté. Ils ont l’habitude de dire que la mort bientôt résoudra pour eux le grand problème sans qu’ils aient à s’en soucier. Autrement dit, ils attendent de voir : ne comprenant pas d’eux-mêmes, et ne se laissant pas convaincre que c’est justement de résoudre sans preuve ce grand problème qui est l’objectif, le but même de leur vie mortelle, selon l’affirmation de saint Paul que « la foi est la garantie des biens que l’on espère », la preuve, la mise en action « des réalités qu’on ne voit pas (He 11, 1) ». Ce que l’Apôtre dit d’Abraham décrit exactement toute foi véritable : elle se met en route ignorant où elle aboutira (« et il partit ne sachant où il allait »). La foi ne se tourmente pas de ne pas apercevoir la fin du voyage ; elle ne marchande pas ; elle n’argumente pas comme saint Thomas qui disait, du temps de son ignorance : « Nous ne savons pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ? » Elle est sûre d’avoir suffisamment de lumière – en vérité, bien plus qu’un pécheur n’est en droit d’en attendre -, pour pouvoir marcher même si elle ne voit qu’à un pas devant elle ; la foi laisse toute la connaissance du pays qu’elle doit parcourir à Celui qui l’appelle.
Cette bienheureuse disposition, qui pousse les esprits religieux à se déterminer en cette grave question d’accueil ou de rejet de l’Évangile, les pousse aussi à en recevoir toutes les parties constituantes. De même que la foi se contente de peu de lumière pour se mettre en marche et y voit de mieux en mieux à mesure qu’elle avance, de même elle lit, en quelque sorte, dans une demi-obscurité le message de vérité dans ses multiples détails. Elle n’exige pas que le texte de l’Écriture présente laborieusement, rigidement les preuves de ses doctrines ; elle a une sagesse pragmatique et considère que la parole de Dieu dans son ensemble doit avoir un seul et même sens ; elle s’efforce autant qu’il est possible de découvrir ce sens, que les signes en soient petits ou grands ; et de ne pas ergoter, même si la démonstration n’est pas éclatante. Car la foi garde les yeux fermement fixés sur le fait que le Christ parle dans l’Écriture, et elle reçoit ses paroles comme si elle les entendait, prononcées par la bouche d’un supérieur ou d’un ami qu’elle veuille satisfaire ; non pas comme si elle étudiait la lettre morte d’un document qu’on pourrait manipuler grossièrement, critiquer ou mettre entre parenthèses. La foi détache son regard d’elle-même pour le porter sur Jésus, et au lieu de chercher avec impatience quelque assurance personnelle, elle se laisse conduire par l’obéissance et dit : « Me voici : envoie-moi où tu veux. » Elle se comporte de même vis-à-vis de toutes les institutions du Christ, de son Église, de ses sacrements et de ses ministres – non pas comme un agitateur de ce monde, mais comme le disciple de celui qui a établi ces institutions. Enfin elle se contente de la révélation qui lui a été faite. Elle a « trouvé le Messie », cela lui suffit. La raison même de son inquiétude originelle l’empêche maintenant d’errer. Quand « le Fils de Dieu est venu et qu’il nous a donné de connaître le vrai Dieu », l’hésitation, la crainte, la confiance superstitieuse en une créature, la poursuite des nouveautés, sont autant de signes, non de foi, mais d’incroyance (Ct 3, 1-4).
On pourrait ajouter beaucoup de choses, pour conclure, en appliquant ce qui a été dit à la tendance actuelle qu’ont les gens autour de nous de quasiment s’enorgueillir du fait que « leur religion est rationnelle ». Certes, il se peut que ce soit le cas ; mais qu’une religion soit rationnelle dans le sens habituel du mot n’est nullement la marque nécessaire de sa vérité ; et l’on ne peut mettre au crédit d’un homme de s’être résolu à ne s’intéresser qu’à ce qu’il considère comme rationnel. La vraie religion est au-dessus de la raison, du moins en partie, comme par exemple dans ses mystères. Elle pourrait fort bien avoir été introduite dans le monde sans toutes ces « preuves » que notre raison déploie systématiquement avec tant de satisfaction : elle n’en serait pas moins vraie. Dans la mesure où elle dépasse la raison, et du fait qu’elle se soit répandue dans tant de pays sans avoir eu besoin de preuve suffisante de son essence divine, il est clair qu’elle ne peut être qualifiée de rationnelle. Disons même que si notre religion peut le moins du monde s’appuyer sur la raison, c’est plutôt un privilège accordé par Dieu tout-puissant à l’homme, qu’un bien que celui-ci serait en droit de réclamer avec instance – privilège qui, à moins d’être reçu comme une faveur imméritée, pourrait nous faire courir certains dangers. Si ce que je viens de dire est le moins du monde vrai, on saura ce qu’il faut penser de ceux qui argumentent contre les doctrines de l’Évangile parce qu’elles sont irrationnelles, ou qui tentent de réfuter le Credo en ridiculisant certains articles parce qu’ils sont impossibles à expliquer et absurdes, ou qui disent que « les superstitieux » ont avancé d’un pas vers la vérité quand ils ont fait acte d’infidélité, ou qui jugent mauvais d’élever les enfants dans la foi catholique parce qu’ils pourraient, dans leur maturité, choisir eux-mêmes leur religion. Chassant de nos esprits de telles pensées, réjouissons-nous plutôt des paroles de l’Apôtre : « Le langage de la croix est en effet folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu. Car il est écrit : « Je détruirai la sagesse des sages, j’anéantirai l’intelligence des intelligents. Où est-il le sage ? Où est-il, l’homme cultivé ? Où est-il, le raisonneur d’ici-bas ? » Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants (1 Co 1, 18-21). »
Trad. Claire Chevrillon-Fabre.