Le Pape Jean-Paul II, dans sa Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, nous a invité à centrer notre vie sur la personne de Jésus (cf. 40-43). La foi nous ouvre sur le mystère de Jésus Christ, le Verbe fait chair, le Sauveur qui désire attirer à Lui tous les hommes. L‘introduction à la foi et l‘accompagnement de l‘homme au cours de ce cheminement dans la foi furent des réalités que John Henry Newman tenait très à coeur dans ses activités pastorales nombreuses et variées. Voici quelques citations tirées de ses écrits, surtout de ses sermons, pouvant illustrer ce qui vient d‘être dit.
Qu’est-ce que la Foi ?
« L‘essence de la foi consiste à ce que nous sortions de nous-même; car voyez quel croyant l‘on est si l‘on reste prisonnier de ses pensées, confiant dans la marche de son esprit, concevant le Saveur comme le fruit de l‘imagination, au lieu de tout abandonner pour vivre de celui qui parle dans les Évangiles.« (SP II 144)[1].
La foi est la vertu divine qui nous fait dépasser notre ego individuel et qui, pour ainsi dire, nous transpose dans un monde nouveau. La foi est « le moyen choisi pour unir le ciel à la terre« (SU 212)[2]. Le croyant peut laisser derrière lui ses propres désirs, sentiments et idées. Il est prêt à être appelé par Dieu à sortir des limites de son propre monde et à entrer dans le royaume invisible mais réel de Dieu. La foi possède une puissance transformante. Une personne, habituée à n‘écouter que soi-même, se met à l‘écoute de Dieu. Une personne qui ne suit que son propre chemin, n‘aspire qu‘à être conduite par Dieu. « Tel est le véritable esprit de foi: être en attente, aux aguets du moment où Dieu prendra en main les choses, le suivre alors, sans avoir cherché à le devancer« (SP III 19).
La foi est la relation d‘une personne avec Dieu. Cet acte de confiance en Dieu, cette allégeance qu‘on lui fait, sont cependant plus qu‘une simple relation. La foi a un contenu spécifique, des vérités révélées par Dieu. Des chrétiens vivant de la foi souscrivent de tout leur être à « un dépôt bien défini« , qui fut « déposé en chacun d‘eux à leur baptême sous forme de mots assemblés en ce qu‘on appelle le Credo, lequel leur a été transmis sous cette même forme depuis les premiers temps« (SP II 221). La foi est l‘assentiment de toute la personne aux événements de l‘histoire du salut, aux réalités dont l‘essence est exprimée par l‘Eglise en des formules qui peuvent être professées et enseignées et qui doivent imprégner nos vies. « Quand les hommes réalisent une vérité, celle-ci devient une source d‘influence en eux, et elle conduit à toute une série de conséquences aussi bien dans leur pensée que pour leur conduite« (PPS VI 263)[3].
Dans la foi, l‘homme répond à la révélation surnaturelle dans la force de la grâce et en liberté. Fortifié par cette vertu divine, il obéit à la Parole de Dieu avec son intelligence et sa volonté, en paroles et en actions. Foi et obéissance sont si intimement reliées l‘une à l‘autre que Newman dit en un sermon: « Car ce n‘est pas un acte isolé de la foi qui peut être appelé ainsi, mais un acte qui possède en lui la nature de l‘obéissance … Dans la mesure où un homme croit, dans cette mesure il obéit. Les deux choses vont ensemble. Elles progressent ensemble et durent au long de la vie« (SP III 80). Et dans un autre passage, Newman insiste auprès de son auditoire: « La Révélation nous soumet à une épreuve…: celle d‘obéir pour l‘obéissance même, ou par la foi« (SU 206).
Comment arrivons-nous a la foi?
On ne peut parvenir à la foi par ses propres moyens. Elle est un don de la grâce de Dieu. Elle est un « principe surnaturel« (SU 226). Pour que la grâce puisse se développer et parvenir à sa maturité, deux conditions sont nécessaires, en plus de la grâce elle-même: un témoignage venant de l‘extérieur et la disposition intérieure permettant une réceptivité libre de ce témoignage de la Révélation. Nul doute, pour Newman les conditions intérieures pour la foi sont très importantes.
Selon lui elles sont davantage d‘un ordre moral que simplement de nature intellectuelle. Elles trouvent leur origine dans l‘homme lui-même, à condition bien sûr, qu‘il soit prêt à écouter la petite voix de la conscience. La conscience énonce des directives auxquelles l‘homme se doit de faire attention.
« Et, selon la nature des choses, la conscience par son existence même amène notre esprit à un Etre en dehors de nous; d‘où viendrait-elle en effet? Elle nous amène à un Etre supérieur à nous; sinon, comment expliquer ses exigences étranges et gênantes? J‘assure que, sans expliciter ce que la conscience dit, et sans affirmer que ses impératifs sont toujours aussi clairs et consistants que souhaités, son existence nous fait sortir de nous-mêmes, nous jette au-delà de nous, dans une quête de Celui dans les hauteurs et dans les profondeurs, dont elle est la voix« (SVO 65)[4].
Newman savait que quiconque s‘efforce d‘écouter sa conscience relâche son auto-complaisance; il se rend compte combien il est limité et combien souvent il tombe dans le péché. Sa conscience le rend lucide sur sa culpabilité mais ne peut l‘en délivrer. « Pour toutes ces raisons, donc, l‘homme religieux, qui n‘a pas encore reçu la grâce de la révélation, sera à sa recherche – exactement parce qu‘il se rend compte de son ignorance, parce qu‘il réalise sa culpabilité et se sait en danger« (SVO 67s).
Dans les sermons que Newman prononça à Oxford, on peut remarquer sa conviction que l‘obéissance aux impératifs de la conscience prépare la voie à la foi ferme dans la révélation. Il invite ses auditeurs: « Quant à nous, obéissons à la voix du Seigneur dans nos coeurs. Et j‘ose affirmer que nous n‘aurons aucun doute pratique et dangereux au sujet de la vérité de l‘Écriture.« (SP I 209). « Suivez seulement ce que vous pensez être le droit chemin et vous gagnerez de cette obéissance même à votre Créateur, à laquelle votre conscience naturelle vous mène, une conviction concernant la vérité et la force de ce Sauveur, révélé par un message surnaturel« (PPS VIII 120).
En employant le terme de « conscience« , Newman ne parle pas d‘une simple fantaisie de l‘homme, ni de la voix de l‘ego, ni d‘un jugement influencé par des envies subjectives. « Conscience« n‘a rien à voir avec une opinion ou un caprice. Elle signifie: « une obéissance attentive à ce qui se fait entendre en nous comme une Voix divine« (Norfolk 247)[5]. Une obéissance loyale à cette voix avait conduit Newman à la communion de l‘Eglise catholique. Une trentaine d‘années plus tard, il écrivit: « Je n‘ai jamais hésité un instant non plus, depuis 1845, dans la conviction que ç‘avait été pour moi un devoir de rejoindre cette Église catholique que, dans ma propre conscience, j‘ai comprise être divine« (Norfolk 391).
A partir de sa propre expérience, Newman a acquis la conviction que Dieu lui-même parle à l‘homme par la conscience, même si sa voix par là semble voilée. Plus sincèrement et volontairement l‘homme se met à l‘écoute de cette petite voix au plus profond de son être, plus elle devient forte et claire. « Il y a une voix en nous, qui nous certifie qu‘il existe quelque chose de plus élevée que la terre. Nous ne pouvons pas analyser, définir, contempler ce qu‘elle souffle au plus profond de notre être, il lui manque la forme, la matière… Et cette aspiration de notre nature trouve une réponse, un accomplissement, elle trouve un objet à contempler, quand elle entend parler de l‘existence d‘un Créateur Tout-Puissant et Tout-Miséricordieux. Elle nous appelle à une foi noble en ce qui nous reste invisible« (PPS VI 340s).
Quel fruit la Foi produit-elle ?
La don de la foi n‘est pas uniquement accordé à l‘homme afin d‘éclairer son intelligence et de lui permettre d‘entrer dans le royaume de Dieu, mais aussi afin d‘ouvrir son coeur pour le don du salut. Dieu se révèle afin de nous sauver. Si nous acceptons ce don dans la foi, nous ne serons pas uniquement rendus perspicaces, mais nous serons transformés intérieurement. La vérité de l‘Evangile nous est donnée « en tant que créatures, pécheurs, hommes, êtres immortels, et non en tant que purs raisonneurs, adonnés à des débats ou des recherches philosophiques. Elle nous enseigne ce que nous sommes, où nous allons, ce que nous devons faire et comment nous devons le faire« (SP I 212).
Nous aurions tort de penser que la foi consiste simplement à jouir de sentiments agréables ou de songes intéressants. Elle nous précisera notre devoir. Elle devra se concrétiser dans des actes positifs, portant ainsi son fruit: « Accomplissons notre devoir à mesure qu‘ils se présente, c‘est le secret de la paix e de la foi vraies.« (SP II 144). En juge sage de l‘âme humaine, Newman parle du hiatus que nous créons entre notre désir d‘agir et notre action réelle: « En effet, la distance qui sépare le faire de la simple intention de faire est bien plus considérable que ce que l‘on peut imaginer à première vue« (SP I 133). Par conséquent, la clef de voûte de notre foi n‘est pas le sentiment de contentement, ni la belle pensée, mais bien l‘acte concret par lequel nous répondons à la parole et à l‘oeuvre de Dieu.
Plus notre foi s‘exprime en actions concrètes, plus nous devenons fermes dans l‘esprit. La foi nous procure l‘accès à la puissance et à la gloire de Dieu, elle ouvre notre coeur aux dons divins, elle nous rend capables de réaliser ce qui, humainement parlant, dépasse nos forces. « La vraie foi ne recherche pas le confort« (PPS V 2), mais au contraire, elle est « toujours avide et sur le qui-vive, les yeux et les oreilles aux aguets des signes de la volonté de Dieu« (SP III 99) et en même temps elle reste « sans prétention, modeste, reconnaissante, obéissante« (SP I 219). Celui qui se délaisse soi-même et regarde avec foi vers Dieu, trouvera également le chemin vers son prochain. « Une caractéristique de celui qui a la foi, c‘est bien d‘être plus soucieux des autres que de lui-même« (SP III 18). Une foi authentique est soutenue par l‘amour et s‘épanouit en amour.
Ainsi la foi se mue en cette force d‘âme, qui dirige l‘homme dans son cheminement vers la sainteté. « La foi est l‘essence de toute perfection. Qui commence par la foi, aboutira dans la sainteté pure et entière… Le croyant n‘a pas encore atteint la rectitude parfaite ou l‘impeccabilité, mais il en reçoit les prémices« (PPS VI 159).
La sainteté ne signifie rien d‘extraordinaire pour Newman; elle ne consiste pas dans la performance de miracles, ni dans l‘annonce de prophéties; elle n‘a rien à voir avec des talents ou des dons particuliers. La sainteté est la vocation et le but de tous les croyants. En elle la foi rejoint la plénitude de sa maturité, ayant grandi dans une espérance forte et un amour ardent. La sainteté, c‘est la foi vécue dans la présence de Dieu. Un jour, le Cardinal Newman pria afin d‘obtenir cette foi en ces mots:
« O mon Dieu, ta miséricorde est inépuisable! Vivre de foi m‘est nécessaire à cause de ma condition présente et de mon péché; mais Tu as prononcé une parole de bénédiction sur la foi. Tu as dit, que je suis plus heureux grâce à ma foi en toi, que si je Te voyais. Accorde-moi cette béatitude, donne-la moi en sa plénitude. Rends-moi capable de croire comme si je Te voyais. Fais que je t‘aie toujours devant moi, comme si Tu ètais présent, corporellement et sensiblement. Garde-moi toujours en communion avec toi, mon Dieu caché, mais vivant. Tu es là au plus profond de mon être. Tu es la vie de ma vie. Chaque respiration, chacune des pensées de mon esprit, chaque désir noble de mon coeur, proviennent de la présence en moi de mon Dieu invisible. Par nature et par grâce, Tu es en moi. Je ne Te vois qu‘obscurément dans le monde matériel, mais je reconnais ta voix dans ma prise de conscience intérieure. Je me retourne et je dis: ‘Rabboni‘. Oh, reste toujours avec moi; et si je suis tenté à t‘abandonner, toi, mon Dieu, ne m‘abandonne pas!« [6]
[1] Sermons Paroissiaux ( = SP) I – III, Les Éditions du Cerf, Paris 1993 – 1995.
[2] Sermons Universitaires (= SU), Desclée du Brouwer, Paris 1955, 428 pp.
[3] Parochial and Plain Sermons (= PPS) IV – VIII, Christian Classics, Westminster 1966-1968.
[4] Sermons on Various Occasions (=SVO), Christian Classics, Westminster 1967.
[5] Lettre au Duc du Norfolk (=Norfolk), Desclée du Brouwer, Paris 1970, 536 pp.
[6] Meditations and Devotions, Christian Classics, Westminster 1975, 362.